Pourtant, le lien des Marquisiens à leur terre a survécu grâce à la persistance de la langue et, avec elle, de la tradition orale et des savoir-faire traditionnels. Si la transmission orale des savoirs a disparu en grande partie avec le choc démographique et l’acculturation contemporaine au contact européen, le regard croisé des sciences humaines et de la littérature orale a cependant permis de mieux comprendre l’histoire, les significations religieuses et sociales des lieux, des structures bâties, des tiki encore présents au moyen des récits, mythes et légendes qui s’y rattachent. Ainsi, certains lieux conservent encore le nom du dernier occupant d’une unité résidentielle, l’histoire qui précède à la création d’un me’ae ou d’un tohua, ainsi que leurs noms spécifiques. Pour la plupart des tiki encore en place, leur identité, leur nom et leur histoire sont connus.
Cependant, s’il existe une très abondante littérature sur l’archipel des Marquises, les sources traditionnelles restent confuses, parfois même antagonistes. La tradition orale a fait l’objet de recueils importants initiés tardivement au début du XXe siècle rassemblant un important corpus de mythes anciens, qui expriment, de façon implicite, en langue marquisienne, un ensemble cohérent renseignant sur la vie des chefferies ènata dans toutes leurs dimensions. Parmi ces mythes, le lien de l’homme à son environnement naturel et spirituel est particulièrement développé sous des formes orales parfois complexes à déchiffrer, en raison des références anciennes qui ont disparu (comme certaines espèces ou certains rites religieux préchrétiens). Ces récits recueillis se composent donc de mythes de fondation, histoires d’événements historiques, légendes, généalogies, et de nombreux chants liturgiques et sacrés. Beaucoup d’entre eux, n’ayant plus d’utilité sociale ou religieuse, n’ont plus été transmis, mais nombre de récits et de légendes sont encore très présents parmi les actuels ènata de l’archipel, se rapportant à tous les lieux remarquables – montagnes, grottes, îlots, etc., et certains sites majeurs devenus archéologiques.
Cette entreprise de collecte de récits traditionnels s’inscrit dans une sorte de tradition qui veut pérenniser une culture que tout a contribué à détruire. C’est dans cette résilience que réside l’une des valeurs des îles Marquises en donnant la parole à un peuple qui a failli disparaître.