Chefferies

La société Ènata était caractérisée par une grande flexibilité qui permettait aux individus qui en avaient les capacités d’occuper les fonctions qui correspondaient à leurs mérites, hommes ou femmes.

Les rôles déterminants étaient  :

- les lignées de chefs héréditaires (hakā’iki) ;

- l’ensemble des prêtres inspirés ou chamans (tau’a) ;

- les artisans spécialisés (tuhuna) ;

- les guerriers (toa).


Les anciennes chefferies se nommaient « ‘ati », ses membres se réclamaient tous descendants d’un ancêtre commun divinisé et dont le nom est généralement celui du groupe. Le chef de chaque clan était légitimé par sa filiation à des entités divines remontant aux temps immémoriaux (ancestraux). Ainsi, les spécialistes des rites - tuhuka ‘o‘oko - étaient chargés de réciter leur généalogie les reliant aux origines, de façon à entretenir cette filiation.

Le hakā’iki était l’intermédiaire entre les divinités (etua) et les vivants. Il était le garant de l’ordre du cosmos dans son clan.
C’est par lui que l’équilibre cosmique était assuré par l’intermédiaire des rites. À cet effet, il avait le devoir de prononcer certaines restrictions, à caractère sacré, temporaires (kāhui) ou permanentes (tapu) afin de garantir des ressources suffisantes destinées à ces rites communautaires qu’étaient les koika.
Un chef qui ne pouvait pas assurer l’équilibre des ressources alimentaires était jugé comme ayant peu de mana et donc à remplacer. Pour éviter cela, il était en négociation permanente avec les puissances de l’invisible et ses officiants religieux afin de garantir sa crédibilité et son pouvoir de redistribution.

Le tau’a était une sorte de prêtre inspiré ou chamane (homme ou femme).
Personnage tapu le plus craint et le plus respecté, en raison de sa proximité avec les puissances de l’invisible. Il était censé être possédé par les divinités dont il devenait leur bouche à travers laquelle les volontés des etua étaient annoncées à la population. C’est en cela qu’on a pu qualifier les tau’a de voyants ou mediums. En raison de leurs pouvoirs divins qu’ils incarnaient, ils avaient le pouvoir de soigner comme de détruire en jetant des sorts (nani kahā) par exemple ou de décréter que les etua exigeaient un sacrifice humain (heaka). En prenant tout en compte, le tau’a était le garant de l’ordre religieux. Ce qui explique que ce personnage était déifié* après sa mort, ou parfois même de son vivant. A l’exemple du hakā‘iki qui assurait l’équilibre matériel de sa société et le maintien de l’ordre du cosmos.


Les tuhuna étaient des maîtres-experts d’un domaine particulier.
Spécialistes dans leur art, ils avaient la connaissance du protocole requis, et dirigeaient les entreprises de fabrication des objets de la culture matérielle. Chaque acte de fabrication, notamment pour les objets tapu, les constructions, les pirogues, était régi par un tapu temporaire. Celui-ci marquait la désacralisation de l’objet autorisant son utilisation par les Ènata. Cette levée du tapu était toujours marquée par un festin communautaire (koika).


Les toa assuraient la défense de la population en cas d’attaque d’une autre chefferie, ou participaient aux offensives.
Au sein de la chefferie, le statut du guerrier était particulièrement important, puisque certains grands guerriers étaient divinisés. Tout acte de guerre revêtait un caractère tapu, le guerrier tout comme ses armes passant à cet état. Des rites spécifiques de levée du tapu de la guerre marquaient le retour à l’équilibre.

Chaque vallée marquisienne était occupée par une ou plusieurs chefferies, dont les limites naturelles constituées par les crêtes des montagnes ou des cours d’eau étaient constamment surveillées. En effet, le relief des îles fit de ces espaces une entité territoriale particulière.  Chaque chefferie était jalouse de son indépendance et opposée à tout pouvoir unifié, même à l’échelle d ‘une île.
D’une vallée à l’autre ou sein même d’une seule vallée, il y avait souvent une alternance de périodes de conflits (toua) et de périodes pacifiques (mo‘u) scellées par les alliances, pour des raisons très variées : compétitions de prestige, parenté, conquête territoriale, violation de tapu, appropriation des ressources. Toutes les vallées marquisiennes n’offraient pas les mêmes ressources terrestres et marines, ce qui induisait des chefferies d’importance et de prestige variables.  Ce prestige se traduisait par la capacité à assurer le contrôle des ressources et de leur redistribution lors des festins communautaires.

*Déifié : Élever quelqu'un au rang d'un dieu ; diviniser

Taputapuātea
Te Henua Ènata - les îles marquises
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