Festins et famines

La société Ènata, d’un point de vue économique, était marquée par l’alternance de périodes fastes où les festins communautaires (ko‘ika) faisaient circuler de grandes quantités de nourriture à des fins politico-religieuses, et de périodes de disettes ou famines qui frappaient plus ou moins longuement la population.

La menace que constituaient les famines était si réelle que des mesures d’adaptation étaient prises pour y faire face. Dans les circonstances extrêmes, les habitants étaient contraints d’aller chercher de la nourriture en dehors de leur territoire. Ces périodes de disette puis de famine étaient autant dues aux sécheresses qu’aux destructions des plantations et des arbres fruitiers par les conflits entre chefferies ou les tsunamis dans les zones littorales et des basses vallées.

Les Ènata avaient la capacité d’anticiper ces crises par la constitution de réserves de nourriture (mā), de les stocker, sous forme de pâte dans des silos familiaux et communautaires : ua mā. Cette pâte du fruit de l’arbre à pain fermenté se conservait sur de très longues périodes et permettait de pallier les saisons difficiles. Si ce procédé se retrouve dans de nombreuses sociétés polynésiennes, il a pris des proportions uniques aux Marquises. En effet, la redistribution de nourriture dépasse la simple nécessité de subvenir aux besoins du groupe, elle doit également pourvoir aux besoins qu’impose l’organisation de festins communautaires (koika). Ces derniers étaient un aspect important de la société dont le système agricole devait produire suffisamment de surplus, au-delà des besoins de subsistance de la population.

Les occasions de ces rassemblements communautaires étaient innombrables, au premier rang desquelles les célébrations de chacun des moments majeurs de la vie du hakā‘iki . Ces activités festives et rituelles étaient pratiquées dans de vastes lieux de réunions communautaires que sont les tohua. La chefferie qui invitait avait entièrement la charge de ses hôtes ; ils venaient des vallées voisines aussi bien que d'autres îles. Par la fréquentation de la mer, les Ènata entretenant des liens parfois plus étroits avec ceux des vallées d’autres îles qu'avec certaines chefferies immédiatement voisines. Pendant des mois la population s'y préparait. Des préparatifs tapu marquaient chacun des koika. Il arrivait que le tapu dure pendant des années et alors on engrangeait les provisions, on préparait le tapa, on collectionnait plumes et coquillages, on tressait des cordages, on répétait chants et danses. Toutes les ressources de la vallée, et parfois de l'île, pouvaient être consommées lors de ces festins.

Des invités d’autres vallées venaient à la fête, qui pouvait se prolonger pendant des jours et des semaines et ainsi, par l’hospitalité accordée, ils prenaient conscience du mana du hakā‘iki. Circonstances d'échanges, de rencontres et facteur d'unité, la réussite de ces efforts et festivités était essentiel au maintien de la cohésion de la chefferie.

Taputapuātea
Te Henua Ènata - les îles marquises
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